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Article extrait du journal « Le pêcheur Professionnel »
Le Cycle de la bucéphalose Bucephalus polymorphus est un trématode digène. Il s’agit d’un ver plat à peine visible à l'oeil nu, de 1 à 2 millimètres de longueur.
Pourvu de deux ventouses, l'une buccale, l'autre ventrale ou postérieure, il se fixe dans l'intestin d'un carnassier, essentiellement le sandre. De façon anecdotique, il lui arrive de se loger chez d'autres espèces comme l'anguille, la perche, le brochet et le Silure.
Il se nourrit du bol alimentaire de son hôte, allant jusqu’à le faire
mourir de faim lorsque les parasites sont nombreux.
Mais sa reproduction a déjà eu lieu avant cet épisode fatal.
Les oeufs sont évacués par les voies naturelles du poisson. Ils
éclosent sous une forme larvaire (le miracidium), lorsque la température de l’eau est supérieure à 10°.
Celui-ci recherche le premier hôte indispensable à son cycle, un
mollusque, Dreissena polymorpha, autrement dit la moule zébrée. Une infestation massive peut entraîner sa castration. Ce stade est suivi de diverses transformations sous forme de spores (sporocyste), puis larves (redie et cercaire nageuse).
Ensuite, cette dernière quitte le bivalve et, en pleine eau, se met en quête, généralement d'un cyprinidé. D'après Patrick Girard, sa
préférence va plutôt vers les gardons, chevesnes, brèmes, hotus,
barbeaux, ablettes, goujons et rotengles. Les vandoises, bouvières,
carpes et tanches sont moins réceptives. Les vairons, quant à eux, semblent réfractaires.
La cercaire se fixe alors au poisson puis pénètre dans sa peau, sa bouche, ses yeux, ses branchies, ses nageoires ou ses muscles.
Elle se métamorphose ensuite en métacercaire.
Avant de s'enkyster, elle migre à l’intérieur de l’animal en
provoquant de multiples lésions (hémorragies localisées, ulcères, nécroses) dont certaines feront l'objet de surinfections bactériennes ou mycosiques. La mort de l’hôte semble inévitable.
Pourtant, le cycle infernal n'est pas encore achevé. Le parasite remonte à nouveau un échelon de la chaîne alimentaire et se retrouve dans le tube digestif d’un carnassier. En effet, les cyprinidés affaiblis deviennent des proies faciles pour toutes
sortes de prédateurs… qui s’attaquent volontiers aux plus fragiles.
C'est surtout préférentiellement chez le sandre que s'opére la dernière métamorphose sous la forme du ver.
Et tout revient, à peine visible à l'oeil nu, de 1 à 2 millimètres de longueur… le cycle recommence!
La bucéphalose est une parasitose endémique de nos rivières.
Auparavant discrète, elle ne s’est développée qu’avec l'introduction de la moule zébrée et du sandre. En 2008, Patrick Girard a clairement identifié sa présence dans des rivières de l’ouest où, jusqu'alors, on ne la soupçonnait pas.
La moule zébrée, premier hôte obligatoire, se dissémine depuis 200 ans en Europe, par voie fluviale, en se fixant sous les embarquations.
Rien ne semble pouvoir interdire son expansion. Ce fléau gagnerait inéluctablement du terrain.
Le sandre est considéré depuis les années 60 comme l’hôte définitif
Des solutions à court et plus long terme
L’idée qui vient immédiatement à l'esprit est de casser le cycle de
Bucephalus polymorphus en supprimant un de ses maillons. Reste à savoir lequel et comment. Pourquoi pas le dernier ? Le sandre ? s’interrogent certains pêcheurs…
Écartons cette idée d'emblée car il n'est pas le seul carnassier porteur du ver. Il semblerait, en fait, que cibler la moule zébrée soit plus indiqué.
À ce titre plusieurs mesures préventives pourraient être prises. Un traitement antifouling des embarcations écarterait le problème de transport du coquillage sur des zones indemnes (mais, malheureusement, ces peintures sont dangereuses pour d'autres espèces).
Il faudrait supprimer toutes communications entre les zones saines et les plans d'eau contaminés et éviter le rejet dans la rivière de l'eau ayant servi au transport des poissons (vifs, alevins).
On peut également imaginer une lutte écologique en favorisant
les prédateurs de la moule : poissons (carpes), rats, canards,
foulques, écrevisses, éponges d'eau douce et amphipodes (Corophium curvispinum). Ce serait jouer à l'apprenti sorcier.
Les prédateurs “sauveurs” pourraient mettre en péril
l'équilibre en se détournant des moules zébrées pour une autre proie précieuse à l'écosystème. Enfin, inscrire le mollusque sur la liste des espèces invasives pour déclencher des opérations de régulation.
En dernier lieu, il reste l'espoir de pouvoir un jour vacciner les sandres.
Seulement, aucun essai en ce sens n'a encore jamais été tenté, ni même aucun travail mené.
Les études manquent cruellement et on ne sait pourquoi ce parasite se réveille ainsi, tout à coup, dans divers bassins hydrologiques sans liens épidémiologiques réels entre eux.
Pour Patrick Girard, “la nature connaît régulièrement ce type de
processus. Il est probable que les cycles observés à d'autres occasions se répètent à nouveau. Les populations touchées connaissent des pics de mortalité importants.
Cependant, face aux attaques, les organismes mettent en place des défenses immunitaires. Il est possible qu’à l’avenir le parasite se charge du travail en limitant le stock de dreissènes, voire en mettant en anger leur survie. La bucéphalose ne disparaîtrait pas mais reprendrait une extension normale”. Nul ne sait combien de temps va durer l’assaut.
Remerciements à Patrick Girard